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La Lettre du Vistemboire n°8 : les choux d'Alphonse Karr

  • Photo du rédacteur: Alexandre Missoffe
    Alexandre Missoffe
  • 19 mars
  • 3 min de lecture

Victor Hugo mène la marche vers la postérité et Alphonse Karr (représenté sous une forme d'abeille) la clôt
Victor Hugo mène la marche vers la postérité et Alphonse Karr (représenté sous une forme d'abeille) la clôt

Un commerçant qui s’installe Passage des Panoramas choisit une géographie autant qu’une histoire. Ouvrir dans ce passage si particulier, c’est tout à la fois une cohérence de lieu et de temps et je ne surprendrai personne en reconnaissant que je suis sensible à la mélodie formée par l’écho lointain des vies qui ont coulé ici. Aussi, entre deux travaux (ceux-là bien contemporains comme la mise en place des logiciels de stocks ou les systèmes de paiements en ligne) je guette les signes que m'adressent au hasard des lectures les vieux fantômes qui hantèrent le passage.

Parmi ceux-ci Alphonse Karr habitait dans un appartement qui donnait d'un coté sur le 60 passage des panoramas et de l'autre sur le 46 rue Vivienne. Alphonse Karr est de ces personnages qui ont marqué leur temps et qui ont manqué la postérité. Né en 1808, il appartient à la génération de Victor Hugo, Lamartine, Nerval, Dumas, Sand, Balzac… Il fut l’ami (du moins à certains moments) de tous ceux-là et ces amitiés-là sont un titre en soi. Son œuvre compte une soixantaine de romans et des milliers d’articles, de saynète, de poèmes, d’essais et de fragments divers.


Bon romancier, remarquable journaliste, exceptionnel botaniste, Alphonse Karr a surtout marqué son époque par son esprit mordant et ses réparties cinglantes. Il fut, dans les années 1830 et 1840, le « prince de l’esprit », tout comme Verlaine sera « le prince des poètes ». Alphonse Karr a l’œil pour voir les ridicules de ses contemporains et le talent pour les restituer d'une façon à la fois cruelle et attendrie. Il y a du Alphonse Allais et du Alphonse Daudet dans cet Alphonse-là, prédestination du prénom peut-être. Comme certains de ses contemporains sont plus chatouilleux que d’autres à ses piques (et, soyons honnêtes, comme certaines de ses piques étaient plus méchantes que d’autres) il eut autant d’ennemis et de rageux qu'il eut d’amis et d’admirateurs. En 1840 Louise Colet, horripilée par les taquineries sur sa liaison avec Victor Cousin, que fait publiquement Karr lui plante un couteau dans le dos. Il en réchappera et ne portera pas plainte mais fera encadrer le couteau dans sa maison du passage des Panoramas avec cette mention « donné par Madame Louise Colet (entre les omoplates) ».

Ce ne fut pas la seule lame qu’il fit briller dans le passage.

En 1834 Alphonse Karr est à couteaux tirés, si j’ose dire, avec son collègue du Figaro Felix Pyat. Partant d’une critique un peu trop caustique, l’affaire s’envenime et ils en viennent au duel. Comme ceux-ci sont évidemment proscrits par la police de Louis-Philippe, les deux bretteurs ont l’idée de se retrouver dans le passage des Panoramas au point du jour, en passant par l’appartement de Karr à l’heure où les grilles du passage sont encore fermées ce qui permet un règlement discret de leur querelle.

Mais un libraire du passage qui dormait dans sa boutique est alerté par le bruit des préparatifs et va quérir un sergent de ville qui amène tout ce beau monde régler la dispute au commissariat du quartier. L'affaire fit grand bruit dans les cercles littéraires, et si le duel à l’épée ne reprit jamais l’affrontement entre Pyat et Karr se poursuivit tout de même à coups de pamphlets et d’articles cinglants.


Karr aura plusieurs autres duels mémorables. Ayant une fois (de trop) ridiculisé Emile de Girardin dans un article, ce dernier provoque Karr en duel en lui laissant le choix des armes « même un coupe-chou s’il veut ». Karr choisit comme arme, non le coupe-chou mais le chou lui-même se rendant au lieu du combat avec des cagettes remplies de ces légumes que les adversaires devaient se jeter à la tête jusqu'à ce que mort s'en suive. Le duel, paraît-il, eut bien lieu mais les deux antagonistes en rirent tellement qu'ils se séparèrent les meilleurs amis du monde et sans blessure.

Une autre fois, Karr, décidément trop provocateur pour ne pas être souvent provoqué, répondit à celui qui voulait le défier : « c’est mon vingtième duel et je me lasse de ces interminables préparatifs. Faisons vite et efficace: voici une pièce, jouons à pile ou face et le perdant se suicide ». Son adversaire, prudemment, renonça.

Chaque matin, désormais, en ouvrant la porte du Vistemboire, je me serre un peu contre la vitrine pour ne pas gêner le fantômes des duellistes qui sont toujours là... et je relis « l’art d’être malheureux en France » d’Alphonse Karr que je trouve décidément bien actuel et que je songe très sérieusement à rééditer pour le distribuer au Vistemboire des Panoramas!


 
 
 

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13 Passage des Panoramas,

75002 Paris, France

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